20
La fin d’un rêve

 

 

Lorsque les dernières secousses provoquées par l’effondrement se furent calmées, les quatre amis qui restaient se frayèrent un chemin dans les décombres et le voile de poussière jusqu’à la pièce ovale. Indifférent aux tas de pierres fracassées et aux larges fissures dans le sol qui menaçaient de les engloutir, Bruenor pénétra tant bien que mal dans l’alcôve, les autres sur ses talons.

Aucune trace de sang ou d’autre signe des deux escrimeurs accomplis, seulement le tas de gravats qui recouvrait le trou du piège de pierre. Bruenor pouvait distinguer une lueur en dessous et il appela Drizzt. Sa raison lui disait, contre tout espoir, que le drow ne pouvait pas l’entendre, que le piège lui avait ravi Drizzt.

La larme qui perlait au bord de sa paupière roula sur sa joue lorsqu’il avisa le cimeterre solitaire, la lame magique que Drizzt avait prise dans l’antre d’un dragon, qui reposait contre les ruines de l’alcôve. Il la ramassa avec révérence et la glissa dans sa ceinture.

— Malheureusement pour toi, elfe, cria-t-il en direction des ruines. Tu méritais une mort plus glorieuse.

Si les autres n’avaient pas été alors tellement absorbés dans leurs propres pensées, ils auraient remarqué la colère qui transparaissait dans le chagrin de Bruenor. Il était confronté à la perte de son ami le plus cher et le plus loyal alors qu’il avait déjà mis en doute avant la tragédie la sagesse de continuer à parcourir les halls. Sa douleur se mêlait donc de sentiments de culpabilité encore plus forts. Il ne pouvait pas oublier le rôle qu’il avait joué dans la chute de l’elfe noir. Il se rappelait douloureusement de quelle manière il avait dupé Drizzt pour qu’il se joigne à la quête en prétendant qu’il était à l’agonie et en promettant une aventure exceptionnelle et inoubliable.

Il se tenait immobile, silencieux, et acceptait son tourment intérieur.

Le chagrin de Wulfgar était tout aussi intense et aucun autre sentiment ne l’accompagnait. Le barbare avait perdu un de ses guides, le guerrier qui avait transformé le guerrier sauvage et brutal qu’il était en un combattant avisé et réfléchi.

Il avait perdu l’un de ses meilleurs amis. Il aurait suivi Drizzt dans les entrailles des Abysses en quête d’aventure. Il était convaincu qu’un jour le drow les entraînerait dans une situation délicate dont ils ne pourraient pas s’échapper, mais lorsqu’il se battait aux côtés de Drizzt ou qu’il se mesurait à son mentor, le maître, il était galvanisé, frôlant dangereusement ses limites. Wulfgar avait souvent imaginé sa propre mort, aux côtés du drow, une fin glorieuse que les bardes chanteraient bien longtemps après que les ennemis qui avaient tué les deux amis ne seraient plus que poussière dans des tombes anonymes.

Une telle fin, le jeune barbare ne la redoutait pas.

— T’as trouvé la paix maintenant, mon ami, dit doucement Catti-Brie, comprenant mieux que quiconque l’existence tourmentée du drow.

Catti-Brie avait une conception du monde en harmonie avec la sensibilité de Drizzt, un aspect de sa personnalité que ses autres amis n’avaient pas pu discerner sous ses dehors impassibles. C’était un trait de caractère qui l’avait contraint à quitter Menzoberranzan et sa race maléfique, c’était pour cette raison qu’il était devenu un paria. Catti-Brie connaissait la joie de vivre du drow et savait la souffrance inévitable que provoquaient le mépris et les rebuffades de ceux qui n’étaient pas capables de voir ses qualités, à cause de la couleur de sa peau.

Elle se rendait compte aussi que le bien et le mal avaient perdu un champion en ce jour, car Catti-Brie voyait en Entreri l’image en miroir de Drizzt. Le trépas de l’assassin rendrait le monde meilleur.

Mais le prix était trop élevé.

Le soulagement que Régis aurait dû éprouver à la mort d’Entreri était perdu dans le tourbillon de sa colère et de sa peine. Une partie du halfelin était morte dans cette alcôve. Il n’aurait plus à fuir – Pacha Amas ne se lancerait plus à sa poursuite -, mais pour la première fois de toute sa vie, Régis devait assumer la responsabilité de ses actes. Il s’était joint au groupe de Bruenor en sachant qu’Entreri ne serait pas loin derrière et en comprenant le danger potentiel pour ses amis.

La pensée qu’il serait incapable de relever ce défi n’avait jamais traversé l’esprit du joueur invétéré qu’il était. La vie était un jeu où il misait gros et poussait les limites, et les risques qu’il prenait ne lui avaient jamais, jusqu’à présent, coûté quoi que ce soit. S’il y avait quelque chose au monde qui pouvait tempérer l’obsession du jeu et du hasard chez le halfelin, c’était bien cela : la perte de l’un de ses rares et véritables amis à cause d’un risque qu’il avait choisi de prendre.

— Adieu, l’ami, murmura-t-il en direction de l’amas de pierres. (Il se tourna vers Bruenor et ajouta :) Où allons-nous ? Comment pouvons-nous sortir de cet endroit funeste ?

La question de Régis ne se voulait pas accusatrice, mais Bruenor, sur la défensive à cause de son propre sentiment de culpabilité, l’interpréta comme telle et répliqua avec rage.

— C’est d’ta faute ! lança-t-il avec hargne. T’as amené le tueur sur nous !

Bruenor avança d’un pas, menaçant, le visage tordu de rage et les mains blanchies tant il les serrait.

Wulfgar, troublé par ce soudain accès de colère, s’approcha de Régis. Le halfelin ne recula pas, mais ne fit aucun geste pour se défendre. Il n’arrivait pas encore à croire que la colère de Bruenor puisse se déchaîner à ce point.

— Espèce de voleur ! rugit Bruenor. T’avances tranquillement dans ta p’tite existence sans t’soucier de ce que tu laisses derrière toi… Et tes amis en paient le prix !

Chaque mot nourrissait sa colère et elle devenait presque une entité séparée du nain, s’amplifiant et se renforçant.

Un autre pas l’aurait amené tout près de Régis et son attitude leur indiquait clairement à tous qu’il avait l’intention de frapper, mais Wulfgar s’interposa et stoppa Bruenor d’un regard sans équivoque.

Tiré de sa transe par la posture sévère du barbare, Bruenor se rendit compte à ce moment-là de ce qu’il était sur le point de faire. Très gêné, il refoula sa colère et se concentra sur leur survie immédiate. Il se retourna afin d’examiner ce qui restait de la pièce. Très peu de leurs provisions et de leurs affaires avaient survécu à la destruction.

— Laissez tout ça, on n’a pas d’temps à perdre ! dit-il aux autres, en étouffant ses grondements de colère. Faut s’éloigner le plus possible de cet endroit abject !

Wulfgar et Catti-Brie parcoururent les gravats du regard, cherchant quelque chose susceptible d’être récupéré. Ils étaient peu enclins à écouter le nain qui parlait de continuer sans provisions. Mais ils parvinrent à la même conclusion que lui et, après un dernier salut aux ruines de l’alcôve, ils suivirent Bruenor dans le corridor.

— J’veux arriver au Défilé de Garumn avant la prochaine pause ! s’exclama Bruenor. Alors, préparez-vous à une longue marche.

— Et où ensuite ? demanda Wulfgar.

Il devinait la réponse, mais elle lui déplaisait.

— Dehors ! rugit Bruenor. Aussi vite qu’on peut !

Il jeta un regard furibond au barbare, le défiant d’émettre une objection.

— Pour revenir avec le reste de ton peuple à nos côtés ? insista Wulfgar.

— Pas pour r’venir, dit Bruenor. Pour ne jamais r’venir.

— Alors Drizzt est mort en vain ! déclara sans ambages Wulfgar. Il a donné sa vie pour une mission qui ne sera jamais remplie.

Bruenor prit le temps de réfléchir aux propos de Wulfgar. Il n’avait pas envisagé la tragédie sous ce jour cynique, et il n’en aimait pas les implications.

— Pas pour rien ! gronda-t-il à l’attention du barbare. C’est un avertissement à nous tous pour qu’on quitte l’endroit. Le mal habite ce lieu, une noirceur épaisse comme des orques acharnés sur un mouton ! Tu l’sens donc pas, garçon ? Tes yeux et ton nez ne te disent-ils pas de quitter cet endroit ?

— Mes yeux m’avertissent du danger, répliqua calmement Wulfgar. Comme ils l’ont souvent fait. Mais je suis un guerrier et je ne prête pas grande attention à de tels avertissements !

— Tu s’ras un guerrier mort, sois-en sûr, répliqua Catti-Brie.

Wulfgar lui jeta un regard noir.

— Drizzt est venu pour aider à reprendre Castelmithral, et je ferai en sorte que nous nous acquittions de cette mission !

— Tu mourras en essayant, marmonna Bruenor, sa colère évanouie. On est venus r’trouver ma patrie, garçon, mais elle n’est pas ici. Mon peuple a vécu ici, c’est vrai, mais les ténèbres qui ont envahi Castelmithral ont mis un terme à ma volonté de le reconquérir. J’n’ai aucune envie de rev’nir une fois que je me s’rai débarrassé de la puanteur du lieu, mets-toi bien ça en tête. C’est pour les ombres désormais, et les gris, et puisse cet ignoble endroit s’écrouler sur leurs ignobles têtes !

Bruenor avait assez parlé. Il fit brusquement volte-face et s’engagea dans le corridor. Ses lourdes bottes martelaient la pierre avec force et détermination.

Régis et Catti-Brie le suivirent de près et Wulfgar, après avoir réfléchi un petit moment à la décision du nain, les rattrapa en courant.

 

***

 

Sydney et Bok revinrent à la chambre ovale dès que la magicienne fut sûre que les compagnons étaient partis. Comme les amis l’avaient fait avant elle, elle alla jusqu’à l’alcôve qui s’était effondrée et y resta un moment, réfléchissant aux conséquences que cette tournure soudaine des événements allait avoir sur sa mission. Elle était stupéfaite de la profondeur de la peine que la mort d’Entreri éveillait en elle, car, si elle n’avait pas une confiance absolue en l’assassin et soupçonnait qu’il était en fait à la recherche du même puissant artefact qu’elle et Dendybar cherchaient, elle en était venue à le respecter. Aurait-il pu y avoir un meilleur allié lorsque le combat avait commencé ?

Sydney n’avait pas de temps à perdre à se lamenter sur la mort d’Entreri, car la perte de Drizzt Do’Urden entraînait des soucis plus immédiats pour sa propre sécurité. Il était peu probable que Dendybar apprenne la nouvelle avec sérénité et le talent du mage marbré en matière de châtiment était largement reconnu dans la Tour des Arcanes.

Bok attendit un moment un ordre de la magicienne, mais aucun ne venant, le golem entra dans l’alcôve et se mit à déblayer les gravats.

— Arrête, ordonna Sydney.

Le golem continua à remuer les pierres, mû par l’instruction qu’il avait de poursuivre sa poursuite du drow.

— Arrête ! répéta Sydney, avec plus de force cette fois. Le drow est mort, espèce d’imbécile ! La déclaration brutale la força à accepter la réalité et à se remettre à réfléchir. Bok s’arrêta et se tourna vers elle, et elle attendit un moment afin de déterminer le meilleur plan d’action.

— Nous allons poursuivre les autres, déclara-t-elle avec désinvolture, essayant tout autant de clarifier ses propres pensées en disant cela que de rediriger le golem. Oui, peut-être que si nous livrons le nain et les autres à Dendybar, il pardonnera notre stupidité d’avoir laissé le drow mourir.

Elle regarda le golem, mais son expression n’avait bien entendu pas changé et elle ne risquait pas d’y lire le moindre encouragement.

— C’est toi qui aurais dû être dans l’alcôve, marmonna-t-elle, son sarcasme n’ayant aucun effet sur la créature. (Entreri au moins pouvait faire des suggestions.) Mais peu importe, j’ai décidé. Nous allons suivre les autres et déterminer le moment où nous pourrons les vaincre. Ils nous diront ce que nous avons besoin de savoir sur l’Éclat de cristal !

Bok ne bougea pas, attendant son signal. Même avec son raisonnement plus que limité, le golem comprenait que Sydney connaissait la meilleure façon de mener à bien leur mission.

 

***

 

Les compagnons traversèrent d’immenses cavernes, des formations naturelles plutôt que de la pierre façonnée par les nains. De hauts plafonds et des parois s’étendaient dans l’obscurité, au-delà de la lueur des torches, laissant les amis terriblement conscients de leur vulnérabilité. Ils restèrent tout près les uns des autres en marchant, imaginant qu’une horde de nains gris les observait depuis les recoins sombres des cavernes, ou s’attendant qu’une immonde créature plonge sur eux, depuis les ténèbres.

Le bruit continuel de gouttes d’eau les accompagnait, l’écho de leurs « plic, ploc » résonnant dans chaque hall, accentuant l’impression de vide.

Bruenor se souvenait de cette section du puits complexe et se retrouvait une fois de plus assailli par des souvenirs depuis longtemps oubliés de son passé. Ils se trouvaient dans les salles des Assemblées, là où le clan Marteaudeguerre se rassemblait pour écouter les paroles du Roi Garumn ou pour rencontrer des visiteurs importants. Les plans de bataille étaient discutés ici ainsi que les stratégies de commerce avec le monde extérieur. Les plus jeunes nains assistaient eux aussi à ses assemblées, et Bruenor se rappelait avec nostalgie les nombreuses fois où il avait pris place à côté de son père, Bangor, derrière son grand-père, le Roi Garumn. Bangor expliquait au jeune Bruenor les techniques du roi pour captiver son audience et l’instruisait dans les arts du commandement dont il aurait un jour besoin.

Le jour où il deviendrait Roi de Castelmithral.

La solitude des cavernes pesait lourdement sur le nain qui les avait entendues résonner des acclamations et des chants de dix mille nains. Même s’il revenait avec tous les membres de son clan, ils n’occuperaient qu’un tout petit coin d’une salle.

— Trop de morts, dit Bruenor.

Son murmure, plus sonore qu’il en avait eu l’intention, résonna dans le vide.

Catti-Brie et Wulfgar, inquiets pour le nain et analysant chacune de ses actions, entendirent la remarque et purent facilement deviner les souvenirs et les émotions qui l’avaient inspirée. Ils échangèrent un regard et Catti-Brie put constater que la colère de Wulfgar à l’égard du nain avait fait place à de la compassion.

Ils traversèrent d’innombrables salles reliées par de petits couloirs. Tous les quelques mètres, des bifurcations se présentaient et des passages partaient sur le côté, mais Bruenor pensait vraiment connaître le chemin qui menait au défilé. Il savait aussi que toute personne se trouvant dessous aurait entendu l’effondrement de la dalle piégée et viendrait inspecter. Cette section du niveau supérieur, contrairement aux endroits laissés derrière eux, était pourvue de nombreux passages qui menaient aux niveaux inférieurs. Wulfgar éteignit la torche et Bruenor les guida sous le couvert de l’obscurité.

Leur prudence s’avéra judicieuse car, alors qu’ils entraient dans une autre caverne immense, Régis saisit Bruenor par l’épaule, l’arrêtant et faisant signe à tout le monde de rester silencieux. Bruenor explosa presque de rage, mais vit tout de suite l’expression de terreur sincère sur le visage de Régis.

Le halfelin, dont l’ouïe était aiguisée par des années passées à guetter le « clic » des gorges d’un verrou, avait distingué un son éloigné différent de celui de l’eau qui tombait goutte à goutte. Un moment plus tard, les autres le distinguèrent également et identifièrent bientôt le bruit de nombreuses bottes. Bruenor les conduisit dans un recoin sombre où ils observèrent et attendirent.

Ils ne réussirent jamais à voir clairement la horde qui passait pour compter le nombre de ses membres ou les identifier, mais ils purent déterminer grâce au nombre de torches qu’ils étaient surpassés en nombre par au moins dix pour un et ils pouvaient deviner la nature des êtres en marche.

— Des nains gris ou ma mère est une amie des orques, grommela Bruenor.

Il regarda Wulfgar pour voir si le barbare allait continuer à discuter sa décision de quitter Castelmithral.

Wulfgar soutint le regard appuyé du nain et fit un signe de la tête pour indiquer qu’il se rangeait à son avis.

— À quelle distance se trouve encore le Défilé de Garumn ? demanda-t-il, désormais aussi résigné que les autres à quitter les lieux.

Il avait toujours le sentiment qu’il abandonnait Drizzt, mais il comprenait la sagesse du choix de Bruenor. Il devenait de plus en plus clair que, s’ils restaient, Drizzt Do’Urden ne serait pas le seul d’entre eux à périr à Castelmithral.

— Une heure jusqu’au dernier passage, répondit Bruenor. Une heure, pas plus ensuite.

La horde de nains gris quitta bientôt la caverne et les compagnons reprirent leur marche, faisant preuve d’encore plus de prudence et redoutant chaque pas qui frappait le sol plus fort qu’ils l’auraient voulu.

Plus Bruenor avançait, plus ses souvenirs devenaient clairs, et il savait exactement où ils se trouvaient. Aussi leur fit-il prendre le chemin le plus direct qui soit en direction du défilé, ayant l’intention de quitter les halls le plus vite possible.

Après quelques minutes de marche, pourtant, il tomba sur un passage qui partait sur le côté et qu’il ne pouvait tout simplement pas ignorer. Il savait que le moindre petit retard était risqué, mais la tentation d’entrer dans cette pièce située au bout de ce petit corridor était trop vive pour qu’il puisse y résister. Il fallait qu’il découvre l’ampleur du pillage de Castelmithral ; il fallait qu’il sache si la pièce la plus précieuse du niveau supérieur avait été épargnée.

Les amis le suivirent sans poser de questions et se trouvèrent bientôt devant une haute porte en métal richement ouvragée sur laquelle était gravés le marteau de Moradin, le plus important des dieux des nains, et une série de runes dessous. Le souffle rapide de Bruenor trahissait son agitation.

— « Là reposent les cadeaux de nos amis et les œuvres de notre race. Sache, toi qui entres dans cette salle sacrée que tu vas poser les yeux sur l’héritage du clan Marteaudeguerre. Amis, soyez les bienvenus, voleurs, prenez garde ! » lut Bruenor avec solennité. (Il se tourna vers ses compagnons, nerveux, son front était perlé de sueur.) La Salle de Dumathoïn, expliqua-t-il.

— Tes ennemis occupent les halls depuis deux cents ans, dit Wulfgar. Elle a été pillée, c’est sûr.

— Non, dit Bruenor. La porte a été protégée par un pouvoir magique et ne s’ouvre pas aux ennemis du clan. Il y a une centaine de pièges à l’intérieur et ils auraient la peau du moindre nain gris qui tenterait de s’introduire dans la salle ! (Il jeta un regard furieux à Régis, puis plissa ses yeux gris avant de lancer un sévère avertissement :) Bas les pattes, Ventre-à-Pattes. Y se pourrait bien qu’un piège ne sache pas que t’es un voleur ami !

Régis trouva le conseil suffisamment avisé pour ne pas relever le sarcasme mordant du nain. Admettant inconsciemment la vérité des paroles de Bruenor, le halfelin glissa ses mains dans ses poches.

— Va chercher l’une des torches, dit Bruenor à Wulfgar. J’pense qu’y a pas de lumière à l’intérieur de la pièce.

Avant même le retour de Wulfgar, Bruenor commença à ouvrir l’énorme porte. Sous la poussée de mains amies, elle s’ouvrait facilement. Elle donnait sur un petit corridor fermé au bout par un lourd rideau noir. La lame menaçante d’un pendule était suspendue au centre du passage, au-dessus d’un amas d’os.

— Chiens de voleurs, ricana Bruenor avec une satisfaction empreinte d’amertume.

Il esquiva la lame et s’approcha du rideau, attendant que tous ses amis l’aient rejoint avant d’entrer dans la chambre.

Bruenor marqua une pause, rassemblant son courage pour passer le dernier obstacle qui lui permettrait d’entrer dans la salle. La sueur luisait désormais sur les visages de tous les amis. Le nain leur communiquait son angoisse.

Avec un grognement résolu, il écarta le rideau.

— Admirez la Salle de Duma…, commença-t-il, mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge dès qu’il put voir dans la pièce.

De toutes les destructions qu’ils avaient pu constater dans les halls, aucune n’était aussi absolue que celle-ci. Des amas de pierre jonchaient le sol. Des socles sur lesquels les ouvrages les plus beaux avaient été exposés étaient démolis, et d’autres avaient été piétinés et n’étaient plus que poussière.

Bruenor avança en trébuchant, les mains tremblantes, un hurlement de révolte coincé dans sa gorge. Il savait avant d’avoir examiné tout ce qui se trouvait dans la chambre que la destruction était totale.

— Comment ? hoqueta-t-il.

À peine avait-il fini de prononcer ce mot qu’il vit l’énorme trou dans le mur. Pas un tunnel creusé autour de la porte qui bloquait l’entrée dans la pièce, mais une cassure dans la pierre, comme si un bélier d’une force incommensurable l’avait démolie en la percutant.

— Qu’est-ce qui est assez puissant pour faire une chose pareille ? demanda Wulfgar en suivant le regard du nain qui s’était arrêté sur le trou.

Bruenor s’approcha, à la recherche d’un indice, Catti-Brie et Wulfgar à ses côtés. Régis partit de l’autre côté, simplement pour voir s’il restait quelque chose de valeur.

Catti-Brie remarqua un scintillement qui faisait penser à un arc-en-ciel sur le sol et s’approcha de ce qu’elle pensait être une flaque constituée d’un liquide sombre. En se penchant pour voir de plus près, toutefois, elle se rendit compte que ce n’était pas du tout un liquide, mais une écaille, plus noire que la nuit la plus noire, et presque de la taille d’un homme. Wulfgar et Bruenor se précipitèrent vers elle en entendant le bruit de gorge étranglé qu’elle émit.

— Un dragon ! s’écria Wulfgar en reconnaissant la forme caractéristique de l’écaille.

Il saisit la chose du bout des doigts et la redressa pour mieux l’inspecter. Puis lui et Catti-Brie se tournèrent vers Bruenor pour voir s’il avait entendu parler d’un tel monstre.

Les yeux écarquillés du nain et son regard terrorisé répondirent à leur question avant qu’ils l’aient même posée.

— Plus noir que le noir, murmura Bruenor en prononçant de nouveau les mots les plus simples de ce jour funeste, deux cents ans plus tôt. Mon père m’a parlé de cette chose, expliqua-t-il à Wulfgar et Catti-Brie. Un dragon né d’un démon, c’est ce qu’il disait, une noirceur plus noire que le noir. C’n’est pas les gris qui nous ont mis en déroute… On se serait battus jusqu’à la fin. Le dragon des ténèbres a pris nos forces et nous a chassés des halls. Il n’en est pas resté un sur dix pour s’opposer aux hordes abjectes dans les salles plus petites situées à l’autre extrémité.

Une bouffée d’air chaud sortant du trou leur rappela qu’il était probablement relié aux halls qui se trouvaient au niveau inférieur, et à l’antre du dragon.

— Partons, dit Catti-Brie, avant que le monstre se rende compte que nous sommes ici.

Régis poussa alors un cri depuis l’autre bout de la pièce. Les amis accoururent vers lui, ne sachant pas s’il était tombé sur un trésor ou un danger.

Ils le trouvèrent accroupi près d’un tas de gravats, les yeux rivés sur un interstice entre les blocs de pierre.

Il leur montra une flèche au fût d’argent.

— Je l’ai trouvée là-dedans, expliqua-t-il. Et il y a autre chose… un arc je pense.

Wulfgar approcha la torche de l’interstice et ils virent tous clairement un grand arc et l’éclat argenté de la corde. Wulfgar saisit le bois et tira doucement dessus, s’attendant qu’il se casse entre ses doigts à cause du poids énorme de la pierre.

Mais il résista, même lorsqu’il tira de toutes ses forces. Il examina les pierres, cherchant le meilleur moyen de libérer l’arme.

Régis, pendant ce temps, avait trouvé autre chose, une plaque en or coincée dans une autre fissure. Il réussit à la dégager et l’apporta à la lueur de la torche afin de lire les runes qui étaient gravées dessus.

— « Taulmaril, le Cherchecoeur », lut-il. « Cadeau d’… »

— « Anariel, sœur de Faerûn », continua Bruenor sans même regarder la plaque. Il hocha la tête pour indiquer qu’il avait vu le regard interrogateur de Catti-Brie.

— Libère l’arc, garçon, dit-il à Wulfgar. Pour sûr, il peut avoir une plus grande utilité qu’enfoui ainsi.

Wulfgar avait déjà analysé la structure de l’amas de pierres et commencé à soulever des blocs précis. Catti-Brie fut bientôt en mesure de libérer l’arc en le tirant et en le faisant légèrement tourner, mais elle remarqua autre chose et elle demanda à Wulfgar de continuer à déblayer.

Tandis que le vigoureux barbare écartait d’autres pierres, les autres admirèrent, émerveillés, la beauté de l’arc. Son bois n’avait pas même été éraflé par les pierres et l’extraordinaire finition de son vernis réapparut avec un simple frôlement de la main. Catti-Brie le banda facilement et le tint à bout de bras, appréciant sa tension assurée et harmonieuse.

— Essaie-le, proposa Régis en lui tendant la flèche d’argent.

Catti-Brie fut incapable de résister. Elle encocha la flèche dans la corde d’argent et banda l’arc, ayant seulement l’intention d’apprécier sa tenue et non de tirer.

— Un carquois ! s’exclama Wulfgar en soulevant la dernière des pierres. Et d’autres flèches d’argent.

Bruenor indiqua les ténèbres et hocha la tête. Catti-Brie n’hésita pas.

Une traînée d’argent suivit le projectile sifflant tandis qu’il filait dans l’obscurité. Sa course s’interrompit brutalement avec un « crac ». Ils se précipitèrent tous, pressentant quelque chose d’extraordinaire. Ils trouvèrent facilement la flèche, car elle était à moitié encastrée jusqu’à l’empennage dans le mur !

Tout autour du point d’entrée, la pierre avait été brûlée, et même en tirant de toutes ses forces, Wulfgar fut incapable de faire bouger la flèche d’un centimètre.

— Pas de souci, dit Régis en comptant les flèches dans le carquois que Wulfgar tenait. Il y en a dix-neuf… vingt de plus ! Il recula, stupéfait. Les autres le regardèrent sans comprendre.

» Il y en avait dix-neuf, expliqua Régis. Mon compte était juste.

Wulfgar, ne comprenant pas, compta rapidement les flèches.

— Vingt, dit-il.

— Vingt maintenant, répondit Régis. Mais dix-neuf lorsque je les ai comptées la première fois.

— Le carquois est donc magique lui aussi, hasarda Catti-Brie. Un puissant cadeau, vraiment, que Dame Anariel a fait au clan.

— Qu’allons-nous trouver d’autre dans ces ruines ? demanda Régis, se frottant les mains.

— Rien de plus, répondit Bruenor d’un ton bourru. On part, et je ne veux pas entendre une seule objection !

Régis sut en regardant les deux autres qu’il n’obtiendrait pas de soutien contre le nain, et il haussa les épaules avec résignation en repassant derrière le rideau. Il revint dans le corridor avec eux.

— Le défilé ! déclara Bruenor en leur faisant reprendre la marche.

 

 

— Attends, Bok, murmura Sydney lorsque la lumière de la torche des compagnons réapparut dans le corridor, pas très loin devant eux.

» Pas encore, dit-elle, un sourire de mauvais augure illuminant son visage couvert de poussière. Nous trouverons un moment plus opportun !

Les Torrents D'Argent
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